LONDRES - MARS 2011
Elle aurait pu dire que l’endroit où elle se trouvait était le paradis parce que c’était la vérité, en quelque sorte, c’était son paradis. Elle se tenait au beau milieu d’une prairie, allongée parmi les coquelicots. Le soleil brillait toujours réchauffant sa peau glacée. De temps en temps, un aigle traversait le ciel, elle le regardait, imaginant qu’elle s’envolait avec lui. Elle savait que si elle le souhaitait assez faire, cela finirait par arriver. Parce qu’ici, tout lui était permis. Elle pourrait partir loin, découvrir ce qu’il y avait par delà les montagnes qu’elle voyait au loin. A cet instant présent, elle était seule mais c’était uniquement parce qu’elle le souhaitait. Quand elle voulait trouver quelqu’un ici, elle trouvait toujours. Il suffisait qu’elle se lève et qu’elle remonte le ruisseau qui coulait au bas de la prairie. Elle arrivait ainsi dans la forêt, parmi les arbres et les autres animaux qui le peuplaient. Un jour, elle avait même entendu un arbre lui parler. Ça pouvait paraître totalement stupide et irrationnelle mais c’était la vérité. Il avait une voix douce et posée, la même que possédait sa grand-mère lorsqu’elle était enfant et qu’elle lui racontait des histoires. C’était peut-être elle qui lui parlait au travers de l’arbre, qui sait. Un aigle traversa le ciel et un sourire se peignit sur le visage de Jaelynn, elle n’aurait pas pu trouver de meilleurs endroits au monde que celui-là.
Une légère brise s’éleva et Jaelynn fut d’abord heureuse de sentir l’air frais frotter son visage. Mais, ce bref sentiment de bonheur disparut bien vite remplacer par de l’agacement. Parce que la brise semblait émettre un sifflement, un sifflement qui répétait son nom encore et toujours et qui, elle le sentait, l’éloignait de son paradis.
« Jaelynn ! » La prairie, les montagnes, la forêt, le ruisseau, tout avait disparu. Jaelynn se trouvait assise à la table de la cuisine – qu’elle n’avait en fait jamais vraiment quitté – son amie Bella en face d’elle. Elle cligna des yeux essayant de reprendre avec la réalité ou plutôt avec ce que les gens autour d’elle appelait la réalité. Bella devait être en train de lui parler depuis quelques temps, ou peut-être avait-elle juste cherché à la sortir de son monde, Jaelynn n’en savait rien et à vrai dire, elle s’en moquait. Depuis le temps qu’elles se connaissaient toutes les deux, Bella était sans aucun doute habitué aux absences de Jaelynn, au moment où celle-ci s’enfermait dans sa bulle te se coupait complètement du monde extérieure. Pourtant, malgré cette habitude, Jaelynn savait que son amie aurait aimé pouvoir entré dans ce monde, pour mieux la comprendre mais elle ne le pouvait, cet endroit n’appartenait qu’à elle.
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PARIS - NOVEMBRE 2009
Jae posa le combiné du téléphone sur ses genoux après avoir raccroché. Encore une fois, elle venait d’avoir une longue conversation avec sa meilleure amie et encore une fois, cette conversation avait tourné autour de son mec, enfin son ex puisqu’il l’avait trompé et elle l’avait quitté. Enfin, cela faisait quelques temps déjà que c’était arrivé, mais Jaelynn avait tenu à appeler Bella pour lui raconté comment la vengeance qu’elles avaient toutes les deux concoctés pour l’autre blonde écervelée avait marcher à merveille. Elle soupira et posa un regard sur le vieux chien couché un peu plus loin qui la regardait attentivement et puis, elle finit par briser le silence.
« Tu sais quoi ? L’amour ça craint. » Elle avait sûrement parlé dans le vide, ce chien était tellement stupide qu’il n’avait même pas du comprendre qu’elle s’adressait à lui. Elle ne l’aimait pas, c’était un vieux chien errant que son père avait trouvé et qu’il avait décidé d’adopter. Elle n’avait jamais compris ce qu’il avait pu trouver à ce chien laid et boiteux mais quand bien même elle aurait compris, cela n’aurait pas changé grand-chose au résultat. Elle lui lança un regard dédaigneux. Parfois, elle espérait vraiment que l’heure de sa mort était proche, que bientôt elle n’aurait pu à le voir traîner et laisser ses poils partout sur le plancher. En revanche, à d’autres moments, elle se disait que la vie serait vraiment bizarre et triste sans lui. C’était deux sentiments contradictoires mais cet exemple là résumait bien ce qu’elle était, un être rempli de contradiction. Elle ne croyait pas en l’amour mais enchaînait les mecs et les histoires en tout genre. Elle ne supportait pas la solitude mais se réfugiait dans son monde pour être en paix. Elle se leva et s’approcha du vieux chien.
« Bien sûr que non, tu ne le sais pas, tu n’es rien qu’un stupide chien qui pue. Je me dis des fois, que tu as bien de la chance, ta vie est certes dépourvue de tout intérêt mais au mois, t’es tranquille. Et puis, c’est pas comme si la mienne était très intéressante non plus. » Elle haussa les épaules avant de sourire. Intéressante, elle l’avait tout de même été nettement plus ces derniers jours. La vengeance lui avait apporté un sentiment de supériorité et de bonheur tellement important qu’il n’allait pas se dissiper avant plusieurs jours. Qui avait osé dire que se réjouir du malheur des autres était mal ? Elle sentit comme un regard accusateur que lui lançait le chien et elle eut de nouveau cette envie qu’il meure sur le champ.
« Ne me regarde pas comme ça, je ne suis pas méchante ! Si c’était le cas, tu serais déjà mort de faim où je ne sais pas, en tout cas je me serais débarrassé de toi. Le fait est qu’il ne faut juste pas me chercher, je ne fais que rendre la monnaie de leur pièce aux gens. » Une fois son discours terminé, elle quitta la pièce sans accorder plus d’attention à celui à qui elle venait de dire tous ça.
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PARIS - OCTOBRE 1996
La petite fille fixait son père sans vraiment comprendre ce qui se passait. Les larmes coulaient sur ses joues, des larmes sur lesquels elle était incapable de mettre une réponse. Sa mère était rentrée ce soir-là, elle avait été passée des examens dans la journée et ses résultats devaient vraiment être mauvais vu la réaction de son père à présent. Sa mère avait disparu, sûrement partie se coucher, elle dormait beaucoup ces derniers temps même si cela ne semblait pas changer quelque chose à son état de fatigue continuelle. Elle s’approcha de son père et tira sur la veste de ce dernier afin qu’il se souvienne de sa présence. Elle ne voulait plus qu’il pleure, après tout, c’était aux parents de consoler leurs enfants et non l’inverse. Il lui lança un regard triste et elle lui répondit par un simple regard interrogateur.
« Je ne comprends pas… Tu m’as dit qu’elle passait un examen comme un contrôle. Et si elle a eu une mauvaise note, ce n’est pas grave. Elle réussira mieux le prochain. » Elle avait essayé de donner beaucoup de conviction à ses paroles, histoire de rassurer un peu son père. Elle aussi elle avait déjà eu de mauvais résultats et il n’avait pas réagi ainsi. Pourtant, c’était exactement la même chose. L’expression de son père ne changea pas, pas même l’ombre ne fit son apparition. Il se contenta de la regarder longuement avant de la serrer dans ses bras.
Ce fut un jour chaud de juillet, quelques mois plus tard, qu’elle put enfin comprendre la véritable raison de ces larmes et la réelle signification du mot examen dans la bouche des adultes. Les examens, c’est ce que passait les gens quand ils n’allaient pas bien et avoir de mauvais résultats à ceux-ci impliquaient que la mort pouvait n’être pas loin. C’était ce qui était arrivé à sa mère. Mais la seule chose qui la marqua vraiment dans ces évènements là, resta les larmes coulant sur les joues de son père.
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LONDRES - JUILLET 2011
Assise près de la fenêtre, Jaelynn regardait frustrée les quelques mots qu’elle venait de poser sur le papier. Il n’y avait rien à faire, elle n’y arrivait pas. Il y avait des fois où écrire lui paraissait tellement simple, tellement évident mais à côté de ça, d’autres fois comme aujourd’hui, elle était incapable de coucher la moindre parole de chansons sur le papier ; En vérité, elle ne cessait de ressasser la conversation qu’elle avait eu un peu plus tôt avec son père au téléphone et cela l’empêchait de faire la moindre chose. Elle soupira et se leva pour aller chercher un verre de laid. Il lui reprochait d’avoir changé entre autres. C’était évidemment totalement faux, elle, elle en était toujours restée au même point. Elle avait l’impression au contraire que c’était les gens autour d’elle qui changeaient, évoluaient, la laissant là où elle était. Il y avait de fortes chances pour qu’elle se retrouve dans plusieurs années toujours dans le même appartement à aller se chercher un verre de laid parce qu’elle était contrariée. La seule chose qui aurait changé, ce serait sûrement l’absence de Bella qui elle aurait trouvé meilleur endroit où aller. Elle attrapa un magazine qui trainait sur le comptoir et le feuilleta machinalement, ce n’était la faute de personne si elle n’était que spectatrice de ce qui se passait autour d’elle. De la faute de personne sinon la sienne. Elle ferma les yeux pour tenter de se calmer. Peu à peu, elle redevint tranquille, l’appartement avait cédé place à la prairie, le seul endroit où elle était un tant soit peu à l’aise. Elle descendit vers le ruisseau tandis que le vent semblait jouer à faire voler ses cheveux. C’était là la preuve irréfutable qu’en elle rien ne changeait, elle était Jaelynn Agnès Martin, membre du groupe killing the xylophone, et à vingt ans, elle s’échappait toujours dans son monde pour fuir la réalité.