J'avais embarqué dans cette avion il y a un peu plus d'une heure et je ne comptais déjà plus le nombre de questions qui avaient défilé dans mon esprit. Qu'il était étrange d'avoir déjà 24 ans quand on était persuadé d'être à l'aube de sa vie: on avait beau me répéter que c'était la stricte vérité, je ne parvenais pas à me faire à cette idée. Tout ce que je voyais, c'est que je détestais l'existence que je menais pour la simple et bonne raison que j'avais l'intime conviction de ne pas être tributaire de mes décisions. Il ne se passait pas un jour sans qu'on me donne des ordres et je passais le plus clair de mon temps à l'hôpital. A ce rythme, je ne donnais pas cher de ma peau d'autant plus qu'on me traitait comme un véritable rat de laboratoire. Je subissais des tas d'examens et j'avais vu des psychiatres défilés à la pelle mais toujours est-il qu'on était incapable de me dire si j'avais une chance de retrouver la mémoire un jour ou l'autre: j'avais réellement l'impression d'être entouré par une bande d'incompétents et encore, je pesais mes mots.
Etais-je mal dans ma peau? Pour être honnête, je n'en savais trop rien. J'étais avant tout un homme perdu dans tous les sens du terme et je cherchais désespérément une branche à laquelle me raccrocher. Ces dernières semaines, je m'étais énormément renfermé sur moi-même ne voulant plus accorder ma confiance à ces gens qui m'entouraient: parfois, ils avaient d'ailleurs été forcés de me bourrer de calmants pour contenir mes excès de violence. Qui étais-je réellement? Voilà une question qui demeurait pour le moment sans réponse et je crois qu'au fond de mon coeur, j'avais peur de le découvrir...
C'est hier que j'avais appris mon départ pour l'Angleterre. Le matin, un médecin était venu me rendre visite dans ma chambre et il m'avait alors annoncé qu'il disposait de nouvelles informations me concernant. Je n'avais pas tout suivi dans la mesure où je n'étais pas un expert en la matière mais selon ses dires, mon identité ne faisait plus aucun doute. Durant pas moins d'un quart d'heure, il m'avait délivré des informations au compte-goutte et je l'avais evidemment écouté avec la plus grande attention. Difficile de dire ce que j'avais éprouvé à cet instant précis mais c'était la première fois depuis que j'étais sorti de mon coma qu'on me donnait une raison d'être optimiste pour l'avenir et à mes yeux, cela n'avait pas de prix.
Pour autant, je ne respirais pas la sérénité depuis que j'étais monté dans l'avion. Si on m'avait prévenu que j'avais de la famille à Londres, je ne savais pas qui allait m'accueillir à l'aéroport et cela m'angoissait terriblement. Je craignais surtout de blesser mon entourage sans le vouloir: je risquais réellement de me trouver con si je ne me montrais pas à la hauteur de l'événement. N'y tenant plus, j'essayais de soutirer des informations aux deux stewards qui m'accompagnaient.
- Est-ce qu'on vous a parlés de la personne qui viendra me chercher une fois que nous serons à Londres?
- Pas vraiment, nous savons juste qu'elle se prénomme Julie et qu'elle est votre femme.
- Ma femme? Je n'étais même pas au courant que j'étais marié...
Poussant un soupir qui en disait long sur ma façon de penser, je sentais mon coeur battre la chamade: la scène des retrouvailles promettait d'être folklorique.
Arrivé à bon port, j'avançais d'un pas mal assuré étant parfaiement conscient que j'allais rencontrer ma femme d'une minute à l'autre. Je n'avais aucune idée de ce que je pourrais lui dire mais je savais surtout que contrairement à elle, je ne serais pas touché de la revoir dans la mesure où j'aurais la sensation d'observer une parfaite inconnue.
Comme je m'en étais douté, la jeune femme versa quelques larmes dès qu'elle m'aperçut. Je redoutais qu'elle ne fonde en sanglots pour la simple et bonne que j'aurais eu du mal à la prendre dans mes bras pour la réconforter. Pourtant, elle était vraiment loin d'être repoussante mais qu'elle soit aussi charmante m'indimidait justement davantage. Je crus d'ailleurs défaillir quand elle posa sa main sur mes lèvres: cela me procura une sensation exquise que j'aurais été incapable de décrire. Elle prononça mon prénom et j'eus alors le réflexe d'afficher un sourire forcé. Avait-elle la moindre idée du mal qui me rongeait? J'en doutais fortement et je me voyais mal aborder le sujet en sa compagnie: elle risquait de tomber de haut...