Lorsque j'essaie de me souvenir de ma petite enfance, tout n'est que flashs, bribes d'informations et d'images. Je ne me souviens pas du visage de ma vraie mère par exemple. Je me rappelle vaguement ses cheveux blonds, longs et emmêlés et ses yeux continuellement rouges et injectés de sang. C'est surtout de sa voix donc je me souviens, et des berceuses qu'elle me chantait lorsque j'étais petite. Mais elle est morte, quand j'avais trois ans. Parfois, dans mes rêves, j'ai des fragments de souvenirs de cette nuit-là: moi en train de sangloter, dans cet appartement sombre et humide, à côté d'u corps inerte. Puis de la lumière, beaucoup de lumière. J'étais aveuglée et on me tenait par la main. On parlait, sans doute la personne qui me tenait la main mais moi je ne voyais que lui. Alice. Ce petit garçon de six ans à peine qui posait son regard curieux sur moi. J'étais craintive, je m'étais recroquevillée sur moi mais lui, il avait souri et avait ouvert grand ses bras pour moi. Je m'y étais blottie. J'avais dormi avec lui cette nuit-là, et la suivante, et encore la suivante et encore un nombre incalculable de fois.

J'avais été recueillie par une amie de ma mère. Elle était devenue ma mère, aux yeux de la loi. Quoique nous n'étions pas très amis avec la loi. Dans mon histoire comme dans ma vie de tous les jours, Meg était au second plan. J'avais de l'affection pour elle, elle m'avait recueilli après tout et elle était tout ce qui ressemblait, plus de loin que de prêt, à une mère. Alors elle faisait partie de ma vie. Elle a toujours été gentille avec moi, dans ses rares moments de lucidité. Mais Meg, je l'avais vite compris, n'avait pas un métier enviable. Elle était prostituée, elle nous abandonnait dans l'appartement des heures durant la nuit et dormait ou se camait toute la sainte journée. Alice et moi étions livrés à nous-même. Enfin, Alice avait la charge de nous deux plutôt. Il a tout pris soin de moi, comme si j'étais réellement sa soeur. Il me faisait manger, il veillait à ce que je ne manque de rien d'essentiel, il bouchait mes oreilles quand il se passait des choses que je n'aurais pas dû avoir à endurer dans l'appartement, il me réconfortait les soirs d'orage, il m'emmenait à l'école. Ma vie tournait autour d'Alice et je voyais tous les efforts qu'ils faisaient pour que je ne pâtisse pas des conditions de vie misérable dans lesquelles nous vivions. A Alice, bien plus qu'à Meg, j'étais profondément attachée et profondément reconnaissante. Je lui devais d'être normale. Enfin normale... plus ou moins saine d'esprit s'entend.

Il avait bien fallu grandir au milieu de cette folie ambiante. Les choses se sont gâtées. Je commençais à prendre conscience que je ne vivais pas dans un environnement sain, pire, que j'étais dans un cas exceptionnel et pas forcément heureux. Mais Alice s'efforçait de conserver le peu d'innocence qu'il me restait. Le peu, c'est ce que lui disait, parce que j'étais bien plus naïve que n'importe quelle adolescente de mon âge. J'étais continuellement souriante, toujours prête à voir le meilleur chez tout le monde. C'était mon caractère et Alice m'encourageait dans ce sens. J'avais toujours eu cette passion pour la musique. J'étais toujours un peu dans ma bulle et les gens avaient tendance à me prendre un peu pour une idiote. Je le voyais mais je ne disais rien. Il venait me voir quand ils avaient besoin de quelque chose et je me faisais un plaisir de les aider. Je savais que dans le fond, je n'étais pas du tout la fille la plus populaire, mais les gens m'aimaient bien, j'avais une bonne réputation et j'étais heureuse comme ça. Mais le seul véritable ami et ancien que j'avais, qu'Alice n'avait pas fais fuir s'entend, c'est Peter. On avait la même passion pour la musique. On s'entend bien, on se comprenait. On s'était rencontré par hasard, dans la rue. Je marchais, à la recherche d'Alice, et lui il était assis là, en train de jouer sur un banc du parc. C'était une musique que je connaissais. C'était Hey ya et je la connaissais par coeur. Alors je m'étais mise à chanter, sans vraiment me poser plus de question que ça. Je ne comprnais pas pourquoi, il avait l'air tellement surpris. Il s'était finalement arrêté, bouche bé. Moi, regardant ma montre, j'avais décidé qu'il était temps de filer. Je m'étais pas attendue à le revoir. Apparemment, il avait écumé toute la ville pour ça, avant de trouver le bar où je bossais comme serveuse. Il m'avait presque supplié à genou de chanter dans son groupe. J'avais beaucoup ri, ne comprenant pas vraiment ce qu'il me trouvait d'exceptionnel. Mais c'était parti, il était devenu mon meilleur ami. Peu de personnes comptait vraiment dans ma vie et voilà que je venais d'en ouvrir la porte à Peter.

J'étais contente de ma vie. Jusqu'à ce jour. Ce jour qui restait gravé au cuter dans les moindres parties de mon âme et de mon corps. Je rentrais de mon service. Alice ne devait pas tarder normalement. J'avais ouvert la porte la porte. J'avais voulu la fermer et allumer la lumière mais quelque chose m'en avait empêché. Quelqu'un plutôt. Il s'était faufilé dans mon dos sans que je m'en aperçoive. Depuis combien de temps me suivait-il ? Comment ne m'en étais-je pas rendue compte ? Il immobilisait mon bras et me jeta à l'intérieur sans ménagement. La suite, je n'aime pas m'en souvenir. C'était confus. La peur, les cris, l'odeur rance de sa sueur, son poids sur moi, ses mains qui m'arrachent mes vêtements, mes larmes. La douleur. Ce que je n'oublierai jamais, c'était son regard. Avide, sauvage, une bête assoiffée. J'avais perdu la notion du temps, j'avais perdu beaucoup de choses ce soir-là. Je n'avais pas conscience de ce qu'il se passait autour de moi. J'étais recroquevillée dans un coin, protégeant de mon mieux mon corps de mes mains. Mais il en avait fini avec moi apparemment. Il était passé à autre chose. Je n'avais pas entendu la porte claquée contre le mur ni quelqu'un entrer dans la pièce. J'avais juste entendu le coup de feu. J'avais violemment sursauté mais je n'arrivais pas à focaliser mon attention sur mon environnement. C'est quand j'ai senti des mains se poser sur moi que j'ai enfin compris que quelqu'un était bel et bien là. J'avais commencé par résister, par instinct. Mais cette étreinte je la connaissais, elle était douce. C'était Alice. Alice. Alors je m'étais blottie dans ses bras et j'avais pleuré, pendànt des heures peut-être.
Les jours qui suivirent me parurent comme dans du coton. Je ne m'en souviens pas vraiment. Je ne sortais pas de chez moi. Je n'allais pas travailler, je n'allais pas en cours. Je passais mon temps dans mon lit, toute la journée. J'avais brisé tous mes miroires, j'arrivais à peine à supporter le regard d'Alice sur moi. Je refusais de voir Peter ou qui que ce soit. Je refusais d'être vue, je refusais qu'on ait pitié, ma bêtise m'avait mené où j'en étais et voilà le résultat. J'avais ouvert les yeux. J'avais perdu toute la précieuse innocence qu'Alice avait voulu préserver. De la poudre aux yeux. Alors j'avais décidé. Plus rien ne serait jamais comme avant alors elle non plus. Elle continuerait puisqu'il fallait qu'elle vive. Mais elle ne serait plus jamais la même.