9h du matin. Sonnerie du réveil. Sans ouvrir les yeux, j’appuie sur le buzzer qui me donne déjà mal à la tête de la main gauche, et enfoui ma tête sous mon oreiller. Hier soir ? Grosse soirée. Pour fêter l’anniversaire d’une fille de ma promotion. Gros apéritif pour commencer, dans un bar à la mode, un mojito pour moi, puis restaurant gastronomique, ajoutez quelques verres de vin, et pour finir, after dans une discothèque avec les deux filles qui avaient le plus d’affinité avec moi. Cocktails, danses collés-serrés, garçons, shoot. Je ne me rappelle plus de la soirée, je ne me rappelle plus comment j’ai réussi à rentrer à l’appartement, mais je sais déjà qu’être à 11h00 à l’autre bout de la ville pour un entretient d'embauche va être particulièrement dur. Je m’apprête à ouvrir les yeux et à affronter la lumière qui inonde la chambre comme les rideaux ne sont pas fermés, lorsque je sens quelqu’un bouger à côté de moi. Je ne suis pas seule dans le lit. Tout doucement, je soulève le drap. C’est un homme et il est nu. Aussi nu que moi. Aie. Solution 1, sortir du lit aussi doucement que possible pour ne pas le réveiller, et espérer qu’il ne le fasse qu’une fois que je serai partie, l’une de mes colocataires le mettra bien à la porte si je laisse un petit mot. Solution 2, le réveiller, et lui demander de partir. Sans le laisser me rappeler la folle nuit qui vient de se passer. Car maintenant que j’ai les yeux bien ouverts, je vois l’explosion de vêtements sur le parquet de ma chambre, et l’emballage de préservatif vide à côté de ma table de nuit. Bon, au moins je sais que même complètement saoule, je suis capable de prendre des précautions. Je ne suis pas du genre poltronne, je choisi la première solution. En me levant le plus bruyamment possible. Le garçon remue un peu, je le découvre en le privant de la couette, et en me couvrant avec par la même occasion. Il ouvre les yeux. Et sourit. En me voyant ?
« Salut toi ! »
« Salut .. hum… désolée de te pousser dehors mais je dois être à l’autre bout de Londres dans une heure. (oui, ça m'arrive quand même de mentir) Tu pourrais … »
« Me rhabiller et sortir le plus rapidement possible sans que personne me voit ? Ben, on a croisé une de tes colocs quand je t’ai raccompagnée ce matin, avant que tu me pousses dans ta chambre, donc elle va forcément te poser des questions ... et je ne partirais que si tu me laisses ton numéro .. »
Je soupirais. Les garçons sont quand même bizarres, quand vous vous attachez, ils fuient, quand vous avez envie de fuir, ils ont envie de s’attacher. Bon, il était mignon après tout. Et je pourrais toujours filtrer ses coups de fil …
« Si tu y tiens tellement … »
J’attrape un stylo dans ma table de nuit, et lui inscrit mon numéro sur le bras. Puis, je me retourne et commence à enfiler un short et un tee-shirt. Je le laisse prendre ses affaires et je sors de ma chambre pour la cuisine. Joyce et Julie, mes sœurs jumelles, sont toutes les deux assises à table, un grand sourire sur les lèvres.
« Alors, la nuit a été bonne ? »
« No comment »
Je les entend échanger un sourire dans mon dos pendant que je fais chauffer de l’eau pour mon thé. Jamais de café, je ne le digère pas. Quand je me retourne, je vois le garçon sortir de ma chambre avec un grand sourire, me faire un signe de la main avant de sortir de l’appartement. Je rougis. Pas vraiment dans mes habitudes. On éclate de rire toutes les trois en même temps.

Parfois, j’ai l’impression que rien n’a changé. Qu’on est resté le même groupe d’amis. Mais il y a un an, tout était différent. On habitait tous à San Francisco, l’autre bout du monde finalement. On était plus jeunes, plus insouciants mais déjà aussi soudés. J’étais bien dans ma vie. Jusqu’à une rencontre, une très mauvaise rencontre. L’homme que toute la ville appelait le murderer nous a touché de près, il a enlevé Eliàs et l’a gardé en captivité, a tenté de violer BJ qui a été sauvée par l’intervention de William, qui a été blessé par balle, il m’a surprise dans une ruelle et s’est aussi attaqué à moi, et pendant quelques mois, je m’étais perdue en chemin, apeurée, déprimée. J’étais autant blessée physiquement que psychologiquement. Je ne sortais plus, j’avais peur de chaque ombre. Mes nuits étaient remplies de cauchemars et je prenais cachet sur cachet pour que mes nuits soient plus tranquilles. J’ai réussi à rebondir et à redevenir ce que j’étais, grâce à une psychologue fantastique et à mes amis, Eliàs surtout. C’est bête mais je me suis toujours dit que c’est lui qui pouvait le plus me comprendre sur ce coup. J’ai remonté la pente grâce à lui, suis petit à petit redevenue celle que j’étais avec son aide. Et grâce à un coup de pouce venu de là où je ne l’attendais pas. Pas loin de chez BJ il y avait un mur, dont le décor changeait régulièrement. Comme un jeu, j’ai commencé à dessiner dans un coin de ce même mur, une réponse au dessin déjà en place. Une sorte de questions réponses auxquelles j’ai pris gout. C’était mon activité de la semaine, celle qui me redonnait le sourire. Une après-midi, alors que j’avais un pinceau en main, j’ai senti quelqu’un dans mon dos. Quand je me suis retournée, Sohfyièn se tenait là, les bras croisés. Un café et un thé plus tard, j’appris qu’il était l’auteur de ses dessins, que ce mur était sa façon d’exprimer ses sentiments, et malgré mon passé plutôt houleux avec lui, je l’ai redécouvert d’une toute nouvelle façon. J’ai aimé cette facette de lui, et je peux dire que nous sommes devenus amis aujourd’hui. Oui, vous avez bien entendu. Et son amitié m’est chère.
Et puis il y a eu cette tempête. Vous ne pouvez pas savoir ce qu’on a ressenti si vous n’étiez pas là. J’ai cru que le ciel me tombait sur la tête, que j’allais m’envoler, que j’allais mourir. De la pluie, du vent, des grêlons, des arbres arrachés, des voitures soulevées du sol et retombant sur les gens en train de courir dans les rues. Mary disparue. Ma meilleure amie. Celle que je considérais comme ma sœur. Elle avait d’abord été portée disparue, en même temps que Soh. Il était sur un bateau, elle avait été emportée par la mer lors d’une vague géante et sont retrouvés sur une île. Je ne me rappelle plus du nom. Après des jours et des jours d’inquiétude, des semaines, un moi en réalité. les recherches ont porté leurs fruits et des sauveteurs les ont retrouvés. Juste lui, elle était décédée. Je n’ai pas compris comment sur le moment, je lui en ai voulu de ne pas l’avoir aidée plus. Puis j’ai compris qu’il avait fait ce qu’il avait pu. Un sur deux. Une fois de plus, je me suis renfermée sur moi-même. J’avais perdu ma moitié, celle qui me redonnait le sourire quand j’allais mal. Trop de dégâts matériels et humains. Impossible de reconstruire nos vies là-bas. On a choisi de changer de vie d’un commun accord. Le plus simple était de déménager loin de San Francisco.

Londres. J’ai choisi de continuer mes études, je n’avais pas vraiment envie d’être une simple serveuse toute ma vie, même si au début, le cœur n’y était pas trop. Petit à petit, je me suis adaptée à ce nouveau décor, je me suis fait de nouveaux amis, j’y ai trouvé de nouveaux passe-temps, dont la photographie. J’ai mon diplôme en poche depuis un mois, et je me suis lancée en tant qu’illustratrice et dessinatrice free-lance. J’essaye de démarcher un maximum de magazines et de maisons d’édition avec mon book. J’ai aussi un blog sur lequel je « dessin » mes petites aventures du jour, mes humeurs, parfois mes looks du jour. Mais je suis encore jeune, difficile de se faire prendre au sérieux a à peine 21 ans. Alors pour arrondir mes fins de moi, j’accepte quelques contrats de mannequinat. On m’a toujours dit que j’avais un joli visage, j’en profite.