J'avais dix ans, mon père était alcoolique, ma mère soumise et qui multipliait les boulots merdiques à mi-temps pour être là quand mon père rentrait de ses beuveries avec ses copains après ses journées de travail à l'usine. La violence était notre quotidien, j'avais même eu l'occasion exceptionnelle d'après mon père de goûter à l'alcool, car comme ça "je serais une femme avant l'heure". Connerie. Il m'arrivait de me réveiller dans la nuit et d'entendre ma mère criait, entendre du verre se briser contre le mur et quelques minutes après, entendre le lit grincer et ma mère glousser ou peut-être était-ce elle qui pleurait dans le couloir et cette blonde que je rencontrait souvent le matin, qui gloussait à la place de ma mère. C'était une vie de débauche à laquelle j'assistais, impuissante. Chaque jour, je devais aller à l'école comme si de rien était dans cette école pourrie au coin de la rue. Mais il a bien fallu qu'un jour cela cesse et ce jour là arriva à quelques jours seulement de Noël. Un homme habillé d'un costume noir et une femme en tailleur débarquèrent chez moi, il était six heures du soir, je m'en souviendrais toute ma vie. Alors que j'essayais tant bien que mal de travailler sur mes devoirs en mangeant des corn flakes dans un coin de la table de la cuisine, dans la pièce d'à côté, mes parents s'engueulaient pour la énième fois, cette fois-ci c'était à cause de la voiture, savoir qui avait cassé l'auto-radio. Il fallut quelques minutes pour cette femme qui était assistante sociale de décider qu'il serait meilleur pour moi d'être placée dans une famille plus stable. Aussi curieux que cela puisse paraître, c'était presque un soulagement pour moi et pour eux, juste un ennui de réglé, comme si j'avais été un fardeau pour eux pendant ces dix dernières années. Une partie de ma vie s'était scellée ce soir là, une cicatrice qui cicatrisait pour en ouvrir une autre. Celle de mon inutilité et ma transparence.



Durant toute ma vie j'aurais navigué entre différentes familles sans jamais réussir à m'adapter et multipliant les fugues, ces gens trop parfait, trop simple, je ne pouvais pas supporter cette vie là. Il me fallut attendre l'année de mes treize ans pour trouver enfin une famille qui me convenait. Ils s'appelaient Rosie et Malcolm, ils avaient presque la soixantaine, mais je m'y sentais bien. Ils n'avaient jamais pu avoir d'enfants alors ils avaient décidé d'adopter des enfants à l'enfance difficile. Nous étions cinq, j'étais la plus jeune. Il y avait Jackson, il avait deux ans de plus que moi, sa mère était une droguée qui l'avait eu à quinze ans avec un père inconnu. Mark, dix ans de plus, était orphelin de naissance et qui n'avait jamais trouvé de famille. Alexander, douze ans de plus, il était originaire d'Irlande et à l'âge de six ans, son père l'avait abandonné à King's Cross après un voyage à Londres, il venait d'être licencié et sa femme était morte depuis deux ans, il n'avait jamais pu s'en remettre. Puis Cameron, irlandais aussi, treize ans de plus, le plus vieux et le plus tête brûlé, il avait vécu dans un quartier pauvre de Dublin avec une mère qui se prostituait pour subvenir à leurs besoins. Une famille riche en couleur, mais en quelques temps, je m'étais adaptée, c'était parfait. Malheureusement, trois ans après, Rosie décéda d'une leucémie, puis l'année suivante, c'est Malcolm qui succomba à une crise cardiaque. J'étais encore mineure, mais mes frères eurent l'autorisation de s'occuper de moi, malgré toutes les disputes, les arrestations et tout le reste. On restait proche et uni.