« - Alors ça finit comment ?
- Il se suicide.
- Bien fait pour sa gueule ! »

Le vide. Un putain de vide, qui m'attirait et m'envoutait. Et puis cette voix, dans ma tête, qui ne cessait de me dire de sauter, et puis mon regard, perdu dans le vide. Je fis bouger mon pied, et quelques gravats tombèrent. Pour combien de temps j'en avais encore ? Cinq minutes, ou une éternité ? C'était quoi le pire au fond ? Vivre, ou mourir ? Pour la première fois, j'étais confronté à moi-même. Un choix m'appartenait, et je pouvais en faire ce que je voulais. J'avais juste à tendre un pied, puis l'autre, et tout serait terminé. Tout se finirait exactement comme ça avait commencé.

Il était cinq heures du matin, et pour une fois, Londres était calme. Un ou deux passants, quelques voitures, rien de plus. Un léger vent soufflait et faisait valser mes cheveux. C'était le moment, le moment où jamais. Seulement je n'y arrivais pas. Depuis vingts minutes déjà, j'étais là, en haut de cet immeuble, de Camden à observer l'horizon et à baisser la tête, quelques fois. Je pensais que le plus dur était de vivre avec toutes ces pourritures, mais ce n'était pas le cas. Le plus dur était de franchir le pas. Rien ne me retenait, après-tout. Rien, à un détail près.

« - Alors c'est ça ton plan, crever ? »

Dans un mouvement brusque, je me retournai. Qu'est-ce qu'elle foutait là elle ? Ce n'était franchement pas le meilleur moment qu'elle ait choisi pour intervenir dans ma vie. Elle ne pouvait pas dormir, comme tout le monde ?

« - Dégage Billie ! »
« - T'es qu'un lâche. »
« - Et toi qu'une salope. »

Mon regard se reposa finalement sur l'horizon. Le ciel s'était soudainement assombri. Le blanc des nuages avait laissé place à un gris intense, et la pluie n'allait sûrement pas tarder à s'abattre sur nous. Il fallait que je le fasse avant qu'elle m'en dissuade. C'était la seule solution.

« - J'veux que tu me regardes quand tu vas sauter. »

Et puis quoi encore ? Pourquoi pas ouvrir une bouteille de champagne aussi ? Même mourir en paix, je n'y avais pas droit. Billie avait toujours le chic pour intervenir lorsqu'il ne le fallait pas. Elle me troublait bien plus qu'il ne l'aurait fallu, et ça avait le don de m'agacer. Je me retournai finalement, ne la quittant jamais des yeux. Le temps s'était figé. Il aurait pu se passer n'importe quoi à côté, je ne m'en serai pas occupé une seule seconde. C'était vers elle que toute mon attention se tournait. C'était peut-être aussi à cause ou grâce à elle que je n'avais toujours pas sauté. Saute putain, saute ! Elle avait raison. J'étais lâche. Lâche de ne pas savoir vivre avec ce que nous avions fait sur la conscience. Elle, le pouvait, moi pas. Même si ça me tuait de l'avouer, un mec était mort par ma faute. Lâche, et faible, il n'y avait pas d'autres mots. Elle avait gagné. La pluie commençait à doubler d'intensité. Mon regard n'arrivait pas à se décrocher du sien, et cette sensation de savoir que je ne contrôlais plus rien m'envahissait petit à petit. C'était elle qui me contrôlait, qui dirigeait le moindre de mes gestes. Ses yeux me défiaient de me lancer en arrière, de la quitter pour toujours. Et moi j'en étais incapable. Je finis par descendre du rebord sur lequel j'étais depuis plusieurs minutes. Billie se dirigea vers moi, et je la pris dans mes bras, sachant parfaitement que la minute d'après, nous allions nous balancer toutes les injures du monde. Je la détestais autant que j'en étais fou.

« On dit que nous perdons tous 21 grammes au moment précis de notre mort... Le poids de cinq pièces de monnaie. Le poids d’une barre de chocolat. Le poids d’un colibri. 21 grammes. Est-ce le poids de notre âme ? Est-ce le poids de la vie ? »



L'occasion rêvé pour moi de sortir. J'avais prévu de rejoindre Billie et Denzel, un pote à nous. Seulement les gardes de la maison et moi, on est pas vraiment potes. Le mur semblait donc être la meilleure de possibilité. A peine la nuit était-elle tombée, que j'étais prêt à partir. Ma chambre était situé au deuxième étages. Si j’anticipais bien ma chute, alors il n'y avait aucun risque que je me fasse mal. Au pire, tant pis. Pour une fois que mon père me lâchait un minimum, il fallait bien que j'en profite. Connard va. Je rejoignis alors un hôtel miteux de la Californie. Le luxe, l'argent, ça me donnait envie de vomir, alors aller dans cette chambre à moitié moisie et dégueulasse, c'était plutôt jouissif. L'alcool se mêlait à la coke, la coke à la beuh, et la beuh aux extas. Putain, le pied. Je n'étais plus maître de rien, et même mon père ne pouvait pas me dicter ma conduite. Il pouvait aller se faire enculer par un chevreuil, lui, ses gardes et son influence de merde. Seulement cet instant ne dura pas bien longtemps. Les heures défilaient, et tout était de pire en pire. Nous étions à la limite, Billie et moi. Pour Denzel en revanche, c'était autre chose. Lui, l'avait déjà dépassée cette limite, et affalé sur le lit, il ne réagissait plus à rien. Sa respiration était presque inexistante, mais il était toujours vivant.

« - Faut qu'on appelle les secours Zadig. »
« - Déconne pas, la pièce est pleine d'héro, j'ai pas envie de me retrouver en taule ! »

Mon regard se posa sur le corps de Denzel. Mon égoïsme était plus fort que tout, plus fort que la vie d'un homme. Ma vision était trouble, mes oreilles bourdonnaient. Il allait crever, et moi, tout ce que j'arrivais à faire, c'était boire de la vodka.

« - Il va crever putain ! »

Oui, il allait mourir, à vingt ans, dans une chambre d'hôtel dégueulasse et remplie de coke. Et alors ? S'il avait voulu franchir cette limite, c'était son problème. Pas le mien, pas celui de Bilie, pas le nôtre. En tout cas, c'était ce que la drogue me faisait penser.

« - On se tire j'te dis ! »

C'est seulement le lendemain matin, que je pris conscience de ce que j'avais fait. Couché à moitié habillé dans mon lit, et un mal de crâne inhumain qui me flinguait au moindre de mes mouvements, j'essayai tant bien que mal de me lever. Si nous avions pris la bonne décision ? Je n'en savais rien. Peut-être avait-il survécu, peut-être que quelqu'un avait appelé les secours à notre place. Je descendis les escaliers, pour enfin arriver à la cuisine.

« - Bonjour Mr. Lestwood, que désirez-vous manger ce matin ? »
« - Euh.. »

C'était quoi ça ? Je pris soin de me rendre jusqu'à la machine à expresso, pour me servir une tasse. Non, je n'étais pas encore handicapé, je pouvais le faire moi-même, connasse. La servante s'effaça progressivement, voyant qu'elle avait bien mieux à faire dans la réserve. Sa présence m’agaçait, et bien heureusement, elle l'avait compris. Le Times posé sur le comptoir attira mon attention. Je le pris, et regardai les gros titres. Rien de bien passionnant. En bas à droite, on pouvait cependant lire :

UN JEUNE HOMME RETROUVE MORT D'UNE OVERDOSE DAND UN HOTEL A BRIXTON.
Description d'un fléau qui fait rage à Londres.


Je recrachai aussitôt le café de ma bouche. Putain, il était mort ce con. J'étais partagé entre culpabilité et je-m’en-foutisme. Au fond, qu'est-ce que j'en avais à battre qu'un type soit mort d'une overdose hein ? Sauf que si on prenait en compte le fait que c'était en partie à cause de moi, ça changeait un peu la donne. J'm'en fous, j'm'en fous, j'm'en fous, j'men fous pas bordel. Ce type n'avait rien demandé à personne. C'était même quelqu'un que je pouvais qualifier d' ''ami''. Enfin, non, de connaissance plutôt. Il avait juste voulu passer un bon moment, sans se douter une seule seconde que quelques heures plus tard, il serait retrouver mort au beau milieu de nul part. Pauvre gars, et j'allais devoir vivre avec ça sur la conscience. Comme si tout ce que j'avais déjà ne me suffisait pas.

« Fuir, toujours, et courir sans relâche. Et puis, un jour, s'arrêter pour dire à quelqu'un, en le regardant droit dans les yeux : c'est toi dont j'ai besoin, vraiment. »



« - Tu m'emmerdes ! »
« - Casse-toi Zadig! »
« - Tu crois que j'fais quoi là ? »

J'enfilai mon pantalon, et réunis les quelques vêtements que je trouvais sur le sol. Elle avait vraiment envie de me faire chier ce matin ou quoi ? C'était une engueulade comme toutes les autres en fait. Notre relation était essentiellement basée sur ça : s'engueuler, puis se réconcilier au pieu. C'était ce qui nous faisait durer, et nous prenions chacun un malin plaisir à jouer ce jeu. En tout cas, au début.

« - C'est quoi ton problème à la fin ? »
« - Mon problème ? Mais c'est toi Zadig ! Tu crois qu'on va pouvoir continuer longtemps comme ça ? S'insulter comme des merdes, et baiser après pour fêter notre engueulade ? Si c'est le cas, alors tu t'trompes. »
« - Billie, putain ! »

Pourquoi est-ce qu'elle remettait tout en question, tout d'un coup ? Notre relation était comme ça, point barre. Elle me connaissait par cœur, dans les moindres détails, et inversement. C'est ce qui faisait malgré tout notre force. On était sur la même longueur d'onde, on avait la même envie de fuir ce monde horrible où tout s'achète, même le bonheur.

« - Regarde-moi, et dis moi que t'en à rien à foutre de nous deux. »
« - J'en ai rien à foutre. »

Mentir, c'est mal, Zadig.

« - Barre-toi ! »

La porte de l'appartement de Billie claqua. Le véritable problème dans tout ça, c'était moi. Incapable d'aimer, de rendre quelqu'un heureux. J'avais été créé pour faire souffrir les gens, les anéantir, et les jeter. C'était pour ça que j'avais été conditionné, et c'est ce à quoi je m'appliquais tous les jours. Détester mon père, c'était dans mes habitudes. Quand à ma mère, aucun sentiment à son égard. Je crois que j'aurais préféré la détester, plutôt que de ne rien ressentir. Ce qui me maintenait en vie, c'était un cœur en pierre. Incapable d'éprouver des sentiments positifs pour quelqu'un. C'est pour cela que je n'avais d'autres possibilités que de détester Billie. L'aimer était impossible, et ne rien ressentir pour elle l'était aussi. Alors j'avais pris cette décision, dès le début. La détester pour mieux l'aimer. Assis dans le couloir, et les yeux fermés, je tapais sans relâche ma tête contre le mur. Je voulais sentir cette douleur, seulement rien n'y faisait. J'avais beau frapper de plus en plus fort, je ne ressentais rien. Aucune douleur, juste l'envie de me défouler encore et encore sur quelque chose, ou quelqu'un. J'avais dans l'idée de partir mais l'envie de retrouver Billie fut plus forte que tout. Je me relevai, et retournai en direction de la porte. Elle allait ouvrir, j'en étais certain. Je sonnai une première, puis une seconde fois sans réponse.

« - Ouvre putain ! »

Mon doigt appuyait de plus en plus sur cette putain de sonnette. Elle allait ouvrir, elle n'avait pas d'autres choix que de le faire. Je donnai finalement un violent coup dans la porte d'entrée. J'étais prêt à défoncer cette porte pour la retrouver, j'étais prêt à tout, et elle le savait. Soudain, le bruit de la serrure se fit entendre, et la porte s’ouvrit. Mon regard dur et déterminé changea aussitôt. Elle était sublime lorsqu'elle était de mauvaise humeur. Et puis nous fûmes comme pris d'une pulsion. Je la plaquai contre le mur, et nous nous embrassâmes plus passionnément que jamais. C'était la même chose à chaque fois. Tout recommençait, encore, et encore. C'était un cercle vicieux, dans lequel nous étions ni l'un ni l'autre capable de sortir. Il n'y avait aucune issu, aucune possibilité pour échapper à ça. Une fatalité qui arrivait malgré tout à me maintenir en vie.

Isaac et Billie se détestent. Pour des raisons plutôt stupides d'ailleurs. Préjugés à la con ><' La haine qui les unis est plus forte que n'importe quoi. Un jour, alors que Billie se rendait à un concert du groupe pour faire une promotion , elle tomba sur Isaac qui lui proposa un verre, puis deux, puis trois. Et dans le feu de l'action, ils baisent. L'un en redemande, l'autre veut pas. Mais la tentions sexuelle entre les deux est telle qu'ils recommencent. Personne ne sait pour cette relation basée essentiellement sur le sexe. D'ailleurs quand ils se voient, ils ne peuvent pas s'empêcher de s'insulter pour se retrouver quelques minutes plus tard dans une cabine d'essayage pour baiser comme des lapins Le pire, c'est qu'ils adorent s'insulter pendant l'acte fatal -vacrever-

Lexie et Billie sont amies. Une amitié comme il y en a peu de nos jours. Sans complications, sans trahison. Elles aiment se retrouver toutes les deux et papoter pendant des heures, faire les magasins et rire. Quand Billie est avec elle, elle oublie un peu ses soucis laissant place à des pleurs .. De rire.